J'avais été malade. Rougeole ! En ce temps-là on ne vaccinait pas contre cette maladie. Doucement je me remettais et la convalescence avait été longue. Interdiction de sortir...
Ce jour-là, j'étais seule à la maison. Quel tourment quand, regardant par la fenêtre je vis des flocons de neige voltiger dans le ciel et faire de petites tâches blanches sur la terre brune du jardin. Les flocons devinrent plus denses et petit à petit recouvrirent le jardin d'une couverture blanche ; donnant à l'air un parfum particulier et étouffant les bruits. J'imaginais la danse des boules de neige autour du bonhomme aux yeux en boulets de charbon, une carotte à la place du nez, le vieux chapeau de jardinier de ma grand-mère sur la tête, une écharpe rouge autour du cou et un morceau de branche d'arbre en guise de pipe.
A travers la fenêtre, je voyais quelques moineaux recroquevillés sur une branche du cerisier. Un peu plus haut, le merle était devenu muet. Mon oncle, pour s'amuser avait posé un petit piège juste devant la fenêtre. Le morceau de mie de pain, comme par défi n’avait pas été recouvert de neige. C’était une vraie tentation pour tous ces petits oiseaux. Je souhaitais, j'espérais qu'ils ne le voient pas. Peut-être plus gourmande ou affamée une grive s'en approcha. Je tapais au carreau pour l'effrayer, elle devait être sourde ! J'aurais voulu sortir, mais je n'osais pas. Elle s'approcha un peu plus, sa petite tête s'activait de droite et de gauche, comme pour s'assurer qu'aucun congénère ne viendrait la déranger pendant son festin... D'un mouvement vif, le bec vint se planter dans la mie de pain... CLAC ! Le piège s'était refermé sur le petit cou. Je regardais, malheureuse, fascinée ce petit être se débattre sans succès de s'échapper. Le battement d'ailes devint moins vif, puis se transforma en soubresauts de plus en plus espacés.
Je détournais les yeux, un peu honteuse de n'avoir rien fait. C'est alors que je vis Fripon, le chat du voisin tapi sous le groseillier, le regard fixé sur le petit corps inerte de la grive. Il devait être là depuis un petit moment, il avait choisi sa proie. Aplati sur le sol, il se mit à avancer en direction du piège. Un petit battement d'ailes, Fripon stoppa... Puis repris sa progression. Du bout de la patte il toucha la grise qui dans un dernier sursaut eut un léger mouvement des ailes. Prudent Fripon restait là, sans bouger devant sa proie, attendant, provoquant un geste de la petite victime. Fripon donna un dernier coup de patte, plus aucune réaction de la grive, rassuré il s'empara du petit corps qu'il dégagea sans effort du piège meurtrier. Il passa sous la haie et disparut de mon champ de vision.
J'étais triste, la petite grise était morte.
Quand mon oncle rentra à la maison. Je lui racontais ce que j'avais vu. Et je lui reprochais d'avoir posé un piège, c'était de sa faute si la petite grive était morte ! Et, c'était bien fait pour lui, si le chat l'avait volée !